Pourquoi la taxation des énergies renouvelables au-delà de 100 €/MWh n’est pas une bonne chose

Cet article ne traite que de la taxation des énergies au-delà de 100 €/MWh (article 4 duovicies du PLF), pas de la taxation au-delà de 180 €/MWh prévue par le règlement n° 2022/1854 du Conseil du 6 octobre 2022.

La taxation des énergies à partir de 100 €/MWh est d’origine purement législative et ne peut donc être justifiée par l’obligation de transposer un règlement de l’UE.

Après application d’un abattement de 10%, toutes les recettes au-delà de 100 €/MWh seraient entièrement prélevées par l’Etat (ce qui équivaut à une taxation à 90%).

Problèmes économiques liés à la taxation des énergies au-delà de 100 €/MWh

Cette taxation des énergies poserait d’abord des problèmes économiques car (i) elle décourage l’investissement dans la production d’électricité alors que la demande ne cesse de croître à long terme et que les capacités de production sont réduites, (ii) son application aux contrats en cours provoquerait des contentieux de grande ampleur parce que ces contrats n’étaient pas conçus en fonction d’une telle taxe et (iii) des décisions d’investissement ont été prises en fonction d’un prix de marché libre.

Par exemple, si l’électricité se vend 400 €/MWh, une installation de panneaux solaires se rembourse en deux ans alors qu’elle produira plus de 30 ans. En taxant lourdement la vente, l’Etat découragerait des investissements dans la production.

Ensuite, cette taxe violerait plusieurs principes constitutionnels et conventionnels.

Inégalité devant la loi et devant les charges publiques

Le principe d’égalité devant l’impôt comporte deux branches : d’une part, le principe d’égalité devant la loi fiscale (article 6 de la déclaration des droits de 1789), d’autre part, le principe d’égalité devant les charges publiques (article 13 de la même déclaration).

Le principe d’égalité devant la loi fiscale ne fait pas obstacle à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qu’il établit.

Le principe d’égalité devant les charges publiques ne fait pas obstacle à ce que des situations différentes fassent l’objet de solutions différentes.

Il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives (c’est à dire les règles d’assiette), en fondant son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose.

Mais cette appréciation ne doit pas rompre l’égalité devant les charges publiques : notamment l’impôt ne doit pas revêtir un caractère confiscatoire ou faire peser sur les contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives.

Or ici la mesure envisagée taxerait à 90% l’essentiel du profit généré par les producteurs d’électricité avant même l’impôt sur les sociétés.

Cette taxation des énergies serait de très loin la plus élevée en France ; même les vendeurs d’essence sont bien moins taxés alors qu’ils contribuent au réchauffement climatique.

Seuls les producteurs d’énergie électrique seraient soumis à cette imposition.

Le prélèvement obligatoire n’est même pas une cotisation, accompagnée d’une contrepartie pour le cotisant (comme chez les professions libérales).

D’une part, la taxation des énergies envisagée créerait ainsi une inégalité devant l’impôt au détriment des producteurs d’électricité.[1]

Or cette différence de traitement est sans rapport avec une loi de finances.

La taxation des énergies envisagée n’inciterait d’ailleurs à aucune action favorable à l’intérêt général puisqu’elle découragerait au contraire d’investir dans la production d’électricité alors que la France n’en produit justement pas suffisamment.

C’est pourquoi la taxation des énergies envisagée méconnaît le principe d’égalité devant la loi.

La rupture d’égalité devant la loi (et devant les charges publiques) est d’autant plus grave que la combustion de biogaz est seulement taxée à partir de 175 €/MWh.

Les autres sources d’énergie (comme l’éolien et le solaire) ne devraient pas être plus lourdement taxées que la combustion de biogaz.

De même, l’incinération de déchets est taxée à partir de 145 €/MWh, alors que les coûts de cette activité ne sont pas significativement plus élevés que ceux des producteurs d’électricité d’origine nucléaire ou renouvelable.

C’est une autre rupture d’égalité devant la loi en faveur d’une énergie plus polluante.

D’autre part, la taxation des énergies envisagée rompt l’égalité entre les charges publiques.

Si l’Etat doit financer certaines dépenses, en particulier en matière d’énergie, il lui appartient de répartir également cette charge publique.

Or la taxation des énergies envisagée pèse spécifiquement sur les producteurs d’électricité – alors même qu’ils sont les premiers à contribuer à la baisse des prix en fournissant justement de l’électricité, ce que les autres contribuables ne font pas.

Si la taxation des énergies envisagée n’est pas déduite du résultat imposable au titre de l’impôt sur les sociétés, elle aboutirait à un taux d’imposition égal à 90 % + 25%  = 115% (le taux d’impôt sur les sociétés est égal à 25%, de sorte que si la taxe de 90% n’est pas réduite de l’assiette de l’IS, le taux d’imposition s’élèvera à 115% au titre de la fraction des bénéfices supérieure à 100 €/MWh).

Si la taxe est déduite du résultat imposable, son taux d’imposition s’élèverait à 90 % et les 10% de chiffre d’affaires restants seraient taxés à 25% au titre de l’impôt sur les sociétés, soit une taxation des énergies  totale de 92,5% sur la fraction du chiffre d’affaires au-delà de 100 €/MWh.

Une telle proportion serait elle aussi confiscatoire.

Atteinte au respect des biens

L’article 1er du 1er protocole additionnel à la CEDH garantit le droit au respect des biens et s’applique même au domaine fiscal, toute imposition privant le contribuable de la somme qu’il doit verser.

C’est pourquoi l’obligation financière née du prélèvement d’impôts peut porter atteinte à la protection de la propriété si elle impose à la personne concernée une charge excessive ou porte fondamentalement atteinte à sa situation financière.[2]

Or une taxation des énergies de 92,5% (ou plus) serait sans précédent en Europe ; laisser à peine 7,5% du produit de son activité au contribuable est une forme de confiscation.

La confiscation est d’autant plus établie que l’objectif avoué de la mesure est de plafonner les revenus des producteurs d’électricité donc de les frapper spécifiquement, peu importe que d’autres activités soient aussi rentables.

Le caractère confiscatoire serait d’autant plus prononcé qu’à un prix de quelques centaines d’euros par MWh la quasi-totalité du bénéfice serait taxé à 92,5%. Aucune autre activité – même très polluante – n’est taxée à un tel niveau (par exemple, le carburant destiné aux particuliers est taxé à environ 60% « seulement »).

C’est pourquoi la mesure envisagée porte atteinte au droit au respect des biens.

Droit de repentir vers les contrats EDF

L’atteinte au respect des biens serait d’autant plus grave pour les producteurs d’électricité d’origine éolienne et solaire concernés par la taxation des énergies envisagée ont généralement rompu un contrat avec obligation d’achat conclu avec EDF après avoir remboursé toutes les subventions reçues pour vendre librement leur électricité.

En les taxant après avoir recouvré le montant des subventions versées, l’Etat (actionnaire d’EDF à plus de 70% et bientôt à 100%) dépouille en réalité les producteurs d’électricité qu’il envisage de taxer à 92,5% (ou plus).

Le procédé serait d’autant plus injuste que les producteurs qui ont remboursé EDF afin de vendre directement sur le marché libre ont renoncé à la sécurité des contrats avec obligation d’achat parce qu’ils pouvaient espérer une marge plus élevée pendant quelques mois ou quelques années.

C’est pourquoi il faudrait octroyer un droit de repentir aux intéressés afin qu’ils puissent revenir vers les contrats à prix garantis avec EDF.

[1] Au demeurant, dans une perspective de réduction de la consommation d’énergie, l’Etat devrait plutôt taxer le kérosène destiné aux aéronefs, qui n’est actuellement pas imposé alors qu’il pourrait être employé pour générer de l’électricité.

[2] CEDH n° 38746/97 Buffalo c. Italie en 2003 ; CEDH n° 50598/13 Iofil AE c. Grèce en 2021.

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